C’est à 13 h 30 que je débarque à l’hôtel où les Liévinois ont élu domicile. Il est situé à Saint-Yorre, petite commune tranquille connue pour son eau, à 12 km du site des compétitions. Outre les athlètes sont présents les coachs du club, Szewczyk père et fils alias Lolo et Vic, ainsi que Dan, l’entraîneur des ‘Aussies’ Matt et Brandon.
C’est l’heure du déjeuner/briefing. Au menu, barquettes de salades, wraps et bananes achetés dans l’hypermarché le plus proche à l’issue des séances de reconnaissance/entraînement du matin. Le briefing est dans un premier temps classique (particularités des parcours, horaires, etc). On évoque aussi la météo bien sûr, si particulière ce jour avec une eau à 26° et une température de l’air proche de 35° et donc la nécessité de s’hydrater régulièrement avant et pendant les courses.

Mais bien sûr, on parle beaucoup stratégie. En déterminant l’emplacement souhaité sur le ponton de départ. Après concertation, le côté gauche est privilégié. Chez les filles, il s’agira de se placer dans la même zone que les leaders Issy et Poissy. Chez les garçons, le scenario consiste à repérer et suivre le Montois Léo Ouabdesselam qui a l’habitude de nager en tête et embrayer direct à vélo.
On rappelle l’importance du classement de chacun des athlètes. ‘One place = one point’ martèlera souvent Laurent, fort de l’expérience de l’étape d’Albi où, de Poissy, Toulouse et Liévin qui totalisaient le même nombre de points, c’est Liévin qui a été le dindon de la farce, ne loupant le podium que pour une toute petite place (Teofili a terminé 20ème et meilleur 3ème homme que Jawad Abdelmoula 21ème).
Le briefing est aussi l’occasion pour les nouvelles de rencontrer leurs partenaires. Elles seront bien discrètes, à l’écoute mais silencieuses, Gillan l’Américaine, Ellie la Britannique et surtout Manami la Japonaise. Pour cette dernière, c’est un choc culturel de se retrouver propulsé à 20 ans dans le championnat français et un peu une gageure de communiquer avec les autres quand on possède un anglais (la langue utilisée à 90% pendant le briefing) rudimentaire.

La réunion se termine sur le rappel des horaires de rendez-vous et l’organisation : rassemblement à 15 h 45 pour les filles pour un trajet d’une quinzaine de minutes dans la camionnette du club, les garçons rallieront le site à vélo un peu plus tard. Eh oui, ces triathlètes de niveau international sont la simplicité même, à l’opposé des footballeurs chouchoutés dans leur bus climatisé équipé de sièges-couchettes escorté par la police !

Entre la fin du briefing et le départ de l’hôtel, c’est retour dans les chambres pour se détendre et pour certain(e)s, comme Emily, faire une micro-sieste.
16 h 45 : les Liévinoises sont parmi les premières à prendre place dans l’aire de transition. Chacune se concentre sur son mode opératoire habituel. On sent alors, à environ 1 h 15 du départ, que les visages sont un peu plus fermés. Evidemment, Victor et Laurent sont constamment à leurs côtés, prêts à conseiller et aider si besoin.


17 h 55 : les clubs sont appelés sur le ponton de départ. Issy choisit un côté, Poissy un autre, du coup les Liévinoises hésitent mais se rappellent le choix annoncé : côté gauche.
Bonne surprise à T1 : Manami, dont on connaissait mal les aptitudes, fait une bonne natation : 11ème à 11 secondes des meilleures. Cela lui permettra de se faire emmener par les Isséennes en chasse derrière les Pissiacaises. Mauvaise nouvelle en revanche du côté de Céline qui a dû abandonner prématurément en proie à une crise de tachycardie. Lassée de subir ce problème depuis l’âge de 12 ans, elle déclare être résolue à se faire opérer.
Coup de théâtre à T2 : Manami pose son vélo puis, au lieu de prendre la direction de la sortie, repart en arrière. Est-il possible qu’elle se soit trompée de sens ? Les coaches s’interrogent sur la raison de ce comportement. Toujours est-il qu’elle sort dernière et distancée de son pack. Rageant !
Mais le show de ce petit bout de femme va reprendre : sortie 19ème de l’AT, elle franchira l’arche d’arrivée en 11ème position. On apprendra alors de sa bouche qu’à la descente de vélo, une chaussure s’est détachée et qu’elle est allée la récupérer pour éviter la pénalité. Elle avait fait preuve de lucidité, mais était-ce la meilleure décision, se demandait-on après coup ? Elle a perdu plus de 20 secondes à la transition, alors que si elle s’était arrêtée à la penalty box, elle n’en aurait perdu que 10. Et quand on regarde les classements à l’arrivée, Liévin totalise 85 points, juste derrière Metz et Valence 83. ‘One place = one point’…

19 h 25 : les garçons prennent place sur le ponton. Valence se met tout à droite, Poissy et Toulouse se mettent à leur côté, Liévin reste sur son idée d’aller à gauche. Bonne nouvelle : Saint-Jean-de-Monts va en faire de même. Matt et ses partenaires seront donc au contact de Léo.
T1 : Matt sort 2ème, Yanis 12ème à 7 secondes, Brandon à 16. Problème : David Cantero et Hippolyte Lacroix devront se contenter de faire partie du 2ème pack.
T2 : pas d’attaque d’envergure dans le pack n°1, les Liévinois gardent toutes leurs chances. Mais il ne faudra pas compter sur David, le pack n°2 ayant concédé environ 1’20.
Finish : Matt bien placé à la transition a ensuite vu Léo Bergère lui passer devant et mener un train élevé et régulier. On sait que Matt est un redoutable finisseur. Mais malgré tout le talent de l’actuel #1 de la World Series et les encouragements appuyés de coach Lolo à quelque 250 mètres du but, il ne parviendra pas à reprendre le Montois. Yanis terminera moins fort, Brandon plutôt bien, on réalise alors que cette fois on sera sur le podium, mais pas encore sur la plus haute marche. Seul hic dans cette affaire plutôt bien menée : David Cantero qui a fait peine à voir à pied, sa discipline forte, et qui aura bien besoin du soutien des coaches et équipiers pour lui redonner le sourire avant la cérémonie protocolaire.

20 h 45 : les podiums, avec d’abord Matt récompensé pour sa 2ème place individuelle, puis toute l’équipe sur la 3ème marche. Avec des sourires larges comme ça pour tous. Pour Hippo, 19 ans, qui pouvait se targuer de faire partie d’une équipe qui a de la gueule ! Et même pour David, qui avait retrouvé une partie de sa jovialité habituelle. C’est ça, l’esprit d’équipe !

Retour à l’hôtel. 22 h 00, 22 h 30, 23 h 00 : personne n’a encore mangé et les estomacs commencent à s’en plaindre. La faute à un contrôle anti-dopage et la difficulté de Matt à uriner. C’est un classique : avec la déshydratation due à l’effort et à la chaleur, il a été contraint de boire des litres pendant près de deux heures avant de pouvoir satisfaire au contrôle. Enfin, vers 23 h 15, ‘Matty’ est de retour à l’hôtel. Pizzas variées pour tout le monde ! Puis je les quitte, direction centre-ville pour y passer la nuit, en leur souhaitant le meilleur pour la suite de la saison.
Ce résumé au côté inédit avait pour objectif de vous décrire ce que vous n’avez peut-être pas vu pendant le live et aussi ce qu’aucune caméra ne montre. Et quand on y ajoute que le voyage a commencé le vendredi midi au départ du Pas-de-Calais, avec passages par Charles de Gaulle puis Orly et enfin Orléans pour récupérer des athlètes, pour se terminer le dimanche en fin d’après-midi après avoir redéposé ces mêmes athlètes aux aéroports parisiens, vous comprenez qu’un Grand Prix, c’est loin d’être juste 1 heure de course. C’est un investissement conséquent en temps et en énergie, mais aussi beaucoup de passion bien sûr, et ce n’est pas une fois dans l’année !
J’ai vécu ces moments au plus près de ces athlètes formidables, aussi simples que talentueux. Merci à eux et aux coaches de m’avoir permis de les vivre ainsi de l’intérieur.
Eric Cattiaux (texte et photos)